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on dirait d’un théâtre de société fermé par des treillages. Je vous ai décrit ailleurs cette brillante claire-voie, dont l’effet est aussi original qu’élégant. Le gouverneur me reçut avec politesse ; puis passant à travers le salon devant plusieurs femmes et plusieurs hommes de ses parents qui se trouvaient là réunis, il me conduisit dans le cabinet de verdure qui occupe un coin du même salon, et où j’aperçus enfin sa femme.

À peine m’eut-elle fait asseoir au fond de ce sanctuaire, qu’elle me dit en souriant : « Monsieur de Custine, Elzéar fait-il toujours des fables ? »

Le comte Elzéar de Sabran, mon oncle, était de venu, dès son enfance, célèbre dans la société de Versailles par son talent poétique, et il le serait dans le public si ses amis et ses parents avaient pu obtenir de lui qu’il publiât le recueil de ses fables, espèce de code poétique, grossi par l’expérience et par le temps, car chaque circonstance de sa vie, chaque événement public et particulier, chaque rêverie lui inspire un de ces apologues toujours ingénieux et souvent profonds, auxquels une versification élégante, facile, un débit original et piquant prêtent un charme particulier. Au moment où j’entrais chez le gouverneur d’Yaroslaf, ce souvenir était loin de moi, car j’avais l’esprit tout occupé de l’espoir trop rarement satisfait de trouver enfin de vrais Russes en Russie.