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« Mon père connaît Paris, me dit le jeune homme ; il sera charmé de recevoir un Français.

— À quelle époque a-t-il vu la France ? »

Le jeune Russe garda le silence ; il me parut déconcerté de ma question, qui pourtant m’avait semblé bien simple ; d’abord je ne pus m’expliquer son embarras ; plus tard je le compris, et je lui en sus gré comme d’une preuve de délicatesse exquise, sentiment rare par tout pays et à tout âge.

M.***, gouverneur d’Yaroslaf, avait fait en France à la suite de l’Empereur Alexandre les campagnes de 1813 et de 1814, et c’est ce dont son fils ne voulait pas me faire souvenir. Cette preuve de tact me rappelle un trait bien différent : un jour dans une petite ville d’Allemagne, je dînais chez l’envoyé d’un autre petit pays allemand ; le maître de la maison en me présentant à sa femme, lui dit que j’étais Français…

« C’est donc un ennemi, » interrompt leur fils qui paraissait âgé de treize à quatorze ans.

Cet enfant n’avait pas été envoyé à l’école en Russie.

En entrant dans le vaste et brillant salon où m’attendaient le gouverneur, sa femme et leur nombreuse famille, je me crus à Londres ou plutôt à Pétersbourg, car la maîtresse de la maison se tenait à la Russe dans le petit cabinet qui occupe un coin du salon, et qui s’appelle l’altane : il est élevé de quelques degrés ;