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diverses formes, selon le rang des hommes qu’on observe ; mais le fond est le même dans tous. La faculté de s’attendrir et de s’attacher, si rare parmi les Russes, domine chez les Allemands, qui l’appellent gemüth. Nous la nommerions sensibilité expansive, cordialité, si nous avions besoin de définir ce qui n’est guère plus commun chez nous que chez les Russes. Mais la fine et naïve plaisanterie, la sociabilité française est ici remplacée par une surveillance hostile, par une malignité observatrice, par une causticité envieuse, par une tristesse satirique enfin, qui me paraît bien autrement redoutable que ne l’est notre frivolité rieuse. Ici la rigueur du climat qui oblige l’homme à une lutte continuelle, la sévérité du gouvernement, l’habitude de l’espionnage rendent les caractères mélancoliques, les amours-propres défiants. On craint toujours quelqu’un et quelque chose ; le pis, c’est que cette crainte est fondée ; elle ne s’avoue pas, mais elle ne se cache pas non plus, surtout aux regards d’un observateur un peu attentif et habitué, comme je le suis, à comparer entre elles des nations diverses.

Jusqu’à un certain point, la disposition d’esprit peu charitable des Russes envers les étrangers me paraît excusable. Avant de nous connaître, ils viennent au-devant de nous avec un empressement apparent, parce qu’ils sont hospitaliers comme des Orien-