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nouvellement importée, et que la politique du maître impose aux courtisans.

La mélancolie déguisée sous l’ironie est en ce pays la disposition la plus ordinaire des esprits ; dans les salons surtout, car c’est là plus qu’ailleurs qu’il faut dissimuler la tristesse ; de là un ton sarcastique, persifleur, et des efforts pénibles pour ceux qui les font comme pour ceux qui les voient faire. Les hommes du peuple noient leur tristesse dans l’ivrognerie silencieuse, les grands seigneurs dans l’ivrognerie bruyante. Ainsi, le même vice prend des formes diverses chez le serf et chez le maître. Celui-ci a une ressource de plus contre l’ennui : c’est l’ambition, ivresse de l’esprit. Au surplus, il règne chez ce peuple, dans toutes les classes, une élégance innée, une délicatesse naturelle ; ni la barbarie, ni la civilisation, pas même celle qu’il affecte, n’ont pu lui faire perdre cet avantage primitif dont le charme est puissant.

Il faut avouer cependant qu’il lui manque une qualité plus essentielle : la faculté d’aimer. Cette faculté n’est rien moins que dominante en son cœur ; aussi, dans les circonstances ordinaires, dans les petites choses, les Russes n’ont-ils nulle bonhomie ; dans les grandes, nulle bonne foi ; un égoïsme gracieux, une indifférence polie, voilà ce qu’on trouve en eux quand on les examine de près. Cette absence de cœur est ici l’apanage de toutes les classes, et se révèle sous