Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lointaines des mariniers du fleuve arrivaient jusqu’à mon oreille. À cette distance, les sons nasillards qui déparent le chant populaire des Russes se perdaient dans l’espace, et je n’entendais qu’une plainte vague dont mon cœur devinait le sens. Sur un long train de bois qu’ils conduisaient habilement, quelques hommes descendaient le cours du Volga, leur fleuve natal ; arrivés devant Yaroslaf, ils ont voulu mettre pied à terre ; quand je vis ces indigènes amarrer leur radeau pour s’avancer au-devant de moi, je m’arrêtai : ils passèrent sans regarder l’étranger, sans même échanger entre eux quelques paroles. Les Russes sont taciturnes et ne sont pas curieux ; je le comprends, ce qu’ils savent les dégoûte de ce qu’ils ignorent.

J’admirais leurs physionomies fines et leurs nobles traits. Hors les hommes de race calmouke, au nez cassé, aux pommettes des joues saillantes, je vous l’ai répété souvent, les Russes sont parfaitement beaux.

Un autre agrément qui leur est naturel, c’est la douceur de la voix, la leur est toujours basse et vibrante sans effort. Ils rendent euphonique une langue qui, parlée par d’autres, serait dure et sifflante ; c’est la seule des langues de l’Europe qui me paraisse perdre quelque chose dans la bouche des personnes bien élevées. Mon oreille préfère le russe des rues au russe des salons ; dans les rues, le russe est la langue naturelle ; dans les salons, à la cour, c’est une langue