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libre arbitre, appartiennent au souverain. En Russie, l’histoire fait partie du domaine de la couronne : c’est la propriété morale du prince comme les hommes et la terre y sont sa propriété matérielle ; on la range dans les garde-meubles avec les trésors impériaux, et l’on n’en montre que ce qu’on en veut bien faire connaître. Le souvenir de ce qui s’est fait la veille est le bien de l’Empereur ; il modifie selon son bon plaisir les annales du pays, et dispense chaque jour à son peuple les vérités historiques qui s’accordent avec la fiction du moment. Voilà comment Minine et Pojarski, héros oubliés depuis deux siècles, furent exhumés tout d’un coup et devinrent à la mode au moment de l’invasion de Napoléon ; c’est que, dans ce moment-là, le gouvernement permettait l’enthousiasme patriotique.

Toutefois ce pouvoir exorbitant se nuit à lui-même ; la Russie ne le subira pas éternellement : un esprit de révolte couve dans l’armée. Je dis comme l’Empereur, les Russes ont trop voyagé ; la nation est devenue avide d’enseignements : la douane n’a pas de prise sur la pensée, les armées ne l’exterminent pas, les remparts ne l’arrêtent pas, elle passe sous terre ; les idées sont dans l’air, elles sont partout, et les idées changent le monde[1].

  1. Depuis que ceci a été écrit, l’Empereur permet le séjour de Paris à une foule de Russes. Il croit peut-être guérir les novateurs