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Comprenez-vous maintenant l’importance d’une opinion, d’un mot sarcastique, d’une lettre, d’une moquerie, d’un sourire, à plus forte raison d’un livre aux yeux de ce gouvernement favorisé par la crédulité de ses peuples, et par la complaisance de tous les étrangers ?… Un mot de vérité lancé en Russie, c’est l’étincelle qui tombe sur un baril de poudre.

Qu’importe aux hommes qui mènent la Russie le dénûment, la pâleur des soldats de l’Empereur ? Ces spectres vivants ont les plus beaux uniformes de l’Europe : qu’importent les sarraux de bure sous lesquels se cachent dans l’intérieur de leurs cantonnements ces fantômes dorés ?… Pourvu qu’ils ne soient pauvres et sales qu’en secret, et qu’ils brillent lorsqu’ils se montrent, on ne leur demande ni ne leur donne rien. Une misère drapée : telle est la richesse des Russes : pour eux l’apparence est tout, et l’apparence chez eux ment plus que chez d’autres. Aussi quiconque lève un coin du voile est-il pour jamais perdu de réputation à Pétersbourg.

La vie sociale en ce pays est une conspiration permanente contre la vérité.

Là, quiconque n’est pas dupe passe pour traître : là, rire d’une gasconnade, réfuter un mensonge, contredire une vanterie politique, motiver l’obéissance est un attentat contre la sûreté de l’État et du prince ; c’est encourir le sort d’un révolutionnaire,