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l’on en sort et l’on y rentre sur des ponts provisoires en rondins ; ponts chancelants comme le clavier d’un vieux piano et aussi rudes que périlleux, car il y manque souvent les pièces de bois les plus essentielles ; or, voici la réponse qu’une voix intérieure a fait entendre à ma question : pour venir ici comme tu y viens, sans but déterminé, sans y être obligé, il faut avoir un corps de fer et une imagination d’enfer.

Cette réponse m’a décidé à m’arrêter, et, au grand scandale de mon postillon et de mon feldjæger, j’ai choisi mon gîte dans une petite maison de villageois d’où je vous écris. Cet asile est moins dégoûtant qu’une véritable auberge ; nul voyageur ne s’arrête dans un village pareil à celui-ci, et le bois des cabanes n’y sert de refuge qu’aux insectes apportés de la forêt ; ma chambre, qui est un grenier où l’on accède par une douzaine de degrés en bois, ressemble à une boîte, elle a de neuf à dix pieds en carré et de six à sept de hauteur ; ce grossier réduit ressemble assez à l’entre-pont d’un petit navire, il rappelle la chaumière du fou dans l’histoire de Telenef ; toute l’habitation est faite de troncs de sapin, dont les interstices sont calfatés comme une chaloupe avec de la mousse enduite de poix ; l’odeur qu’exhale ce goudron combiné avec la puanteur des choux aigres, et le parfum de l’inévitable cuir musqué qui domine dans les villages russes, m’incommode ; mais j’aime