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leur front un cachet de mélancolie qui contraste avec leurs habitudes militaires et avec l’insouciance de leur âge ; les rides de la jeunesse révèlent de profonds chagrins et elles inspirent une grande pitié ; ces jeunes hommes ont emprunté à l’Orient sa gravité, aux imaginations du Nord le vague et la rêverie : ils sont très-malheureux et très-aimables ; nul habitant des autres pays ne leur ressemble.

Puisque les Russes ont de la grâce, il faut bien qu’ils aient un genre de naturel que je n’ai pu discerner ; le naturel de ce peuple est peut-être insaisissable pour un étranger qui passe par le pays aussi rapidement que j’ai passé en Russie. Nul caractère n’est aussi difficile à définir que celui de ce peuple.

Sans moyen âge, sans souvenirs anciens, sans catholicisme, sans chevalerie derrière soi, sans respect pour sa parole[1], toujours Grecs du Bas-Empire, polis par formule comme des Chinois, grossiers ou du moins indélicats comme des Calmouks, sales comme des Lapons, beaux comme des anges, ignorants comme des sauvages (j’excepte les femmes et quelques diplomates), fins comme des juifs, intrigants comme des affranchis, doux et graves dans leurs manières comme des Orientaux ; cruels dans leurs sen-

  1. Malgré tout ce qui précède, il peut être utile de dire que ceci ne s’adresse qu’aux masses, qui en Russie ne sont conduites que par la peur et la force.