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tardés sur la route. Les postillons mènent vite, quand ils peuvent ; mais ils sont arrêtés ou du moins contrariés souvent par des difficultés insurmontables, ce qui n’empêche pas les Russes de nous vanter tous les agréments qui attendent les voyageurs dans leur pays. C’est une conspiration nationale : ils luttent d’éloges mensongers pour éblouir les étrangers, et rehausser leur patrie dans l’opinion des nations lointaines.

Moi, j’ai trouvé que même sur la chaussée de Pétersbourg à Moscou, on est mené inégalement ; ce qui fait qu’au bout du voyage on n’a guère épargné plus de temps que dans les autres pays. Hors de la chaussée les inconvénients sont centuplés, les chevaux deviennent rares, et les chemins rudes à tout rompre ; le soir, on demande grâce ; or, quand on n’a d’autre but que de voir du pays, on se croit fou de s’imposer gratuitement tant d’ennuis, et l’on s’interroge avec une sorte de honte pour savoir ce qu’on est venu chercher dans une contrée sauvage et pourtant dénuée des poétiques grandeurs du désert. C’est la question que je me suis adressée à moi-même ce soir. Je me voyais surpris par la nuit dans un chemin doublement incommode, parce qu’il est à moitié abandonné pour une chaussée non encore achevée, qui le traverse tous les cinquante pas : à chaque instant l’on quitte et l’on retrouve cette grande route ébauchée ;