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de peur d’être accusé d’ingratitude, à cause de la complaisance des geôliers à me faire les honneurs du cachot ? Une telle prudence serait loin d’être une vertu ; je vous déclare donc, qu’après avoir bien regardé autour de moi pour voir ce qu’on me cachait, bien écouté pour entendre ce qu’on ne voulait pas me dire, bien essayé d’apprécier le faux dans ce qu’on me disait, je ne crois pas exagérer en vous assurant que l’Empire de Russie est le pays de la terre où les hommes sont le plus malheureux, parce qu’ils y souffrent à la fois des inconvénients de la barbarie et de ceux de la civilisation. Quant à moi, je me croirais un traître et un lâche, si après avoir tracé déjà en toute liberté d’esprit le tableau d’une grande partie de l’Europe, je me refusais à le compléter de peur de modifier certaines opinions qui étaient les miennes, et de choquer certaines personnes par le tableau véridique d’un pays qui n’a jamais été peint tel qu’il est. Sur quoi se fonderait, je vous prie, mon respect pour de mauvaises choses ? Suis-je lié par quelque autre chaîne que par l’amour de la vérité ?

En général, les Russes m’ont paru des hommes doués de beaucoup de tact ; des hommes très-fins, mais peu sensibles : je l’ai dit ; une extrême susceptibilité unie à beaucoup de dureté, voilà, je crois, le fond de leur caractère : je l’ai dit ; une vanité clairvoyante, une perspicacité d’esclave, une finesse sar-