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s’accorder dans leurs vues ; les sociétés secrètes travaillent à les réunir.

L’Empereur s’efforce aujourd’hui de créer une nation russe ; mais la tâche est rude pour un homme. Le mal se fait vite, il se répare lentement ; les dégoûts du despotisme doivent souvent éclairer le despote sur les abus du pouvoir absolu : je le crois. Mais les embarras de l’oppresseur n’excusent pas l’oppression ; et si ses crimes m’inspirent quelque pitié — le mal est toujours à plaindre, — ils m’en inspirent beaucoup moins que les souffrances de l’opprimé. En Russie, quelle que soit l’apparence des choses, il y a au fond de tout la violence et l’arbitraire. On y a rendu la tyrannie calme à force de terreur : voilà, jusqu’à ce jour, la seule espèce de bonheur que ce gouvernement ait su procurer à ses peuples.

Et lorsque le hasard me rend témoin des maux inouïs qu’on souffre sous une constitution à principe exagéré, la crainte de blesser je ne sais quelle délicatesse, m’empêcherait de dire ce que j’ai vu ? Mais je serais indigne d’avoir eu des yeux si je cédais à cette partialité pusillanime, qu’on me déguise cette fois sous le nom de respect pour les convenances sociales ; comme si ma conscience n’avait pas le premier droit à mon respect… Quoi ! on m’aura laissé pénétrer dans une prison, j’aurai compris le silence des victimes terrifiées, et je n’oserai raconter leur martyre,