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l’histoire de Russie, je ne suis qu’un accident heureux. » Ce prince disait vrai ; les Russes vantent en vain la prudence et les ménagements des hommes qui dirigent leurs affaires, le pouvoir arbitraire n’en est pas moins chez eux la base fondamentale de l’État, et ce principe fonctionne de telle sorte que l’Empereur fait ou fait faire, ou laisse faire, ou laisse subsister des lois — pardonnez-moi si je donne ce nom sacré à des arrêts impies, mais je me sers du mot usité en Russie — l’Empereur laisse subsister des lois qui, par exemple, permettent à l’Empereur de déclarer que les enfants légitimes d’un homme légitimement marié n’ont point de père, point de nom, enfin qu’ils sont des chiffres, et ne sont point des hommes[1]. Et vous voulez m’empêcher de traduire à la barre du tribunal de l’Europe un prince qui, tout distingué, tout supérieur qu’il est, consent à régner sans abolir une telle loi !  !

Son ressentiment est implacable : avec des haines si vives, on peut encore être un grand souverain, on ne saurait plus être un grand homme : le grand homme est clément, l’homme politique est vindicatif ; on règne par la vengeance, on convertit par le pardon.

Je viens de vous dire mon dernier mot sur un prince qu’on hésite à juger lorsqu’on connaît le pays où il est condamné à régner : car les hommes y sont

  1. Voyez l’histoire de la princesse Troubetzkoï, vol. III.