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étaient les plus forts d’autrefois, et alors ils n’ont que trop donné l’exemple de l’abus de la force dont je me plains aujourd’hui ! Mais une erreur n’en excuse pas une autre.

Malgré la secrète influence des femmes, la Russie est encore plus loin de la liberté que ne le sont la plupart des pays de la terre ; non du mot, mais de la chose. Demain dans une émeute, dans un massacre, à la lueur d’un incendie, on peut crier vive la liberté jusque sur les frontières de la Sibérie ; un peuple aveugle et cruel peut éventrer ses maîtres, il peut se révolter contre les tyrans obscurs, et faire rougir de sang les eaux du Volga, il n’en sera pas plus libre : la barbarie est un joug.

Aussi, le meilleur moyen d’émanciper les hommes n’est-il pas de proclamer leur affranchissement avec pompe, c’est de rendre la servitude impossible en développant dans le cœur des nations le sentiment de l’humanité ; il manque en Russie. Parler libéralité aujourd’hui à des Russes, de quelque condition qu’ils soient, ce serait un crime ; leur prêcher l’humanité à tous, sans exception, c’est un devoir.

La nation russe, il faut bien le dire, n’a pas encore de justice[1] ; aussi m’a-t-on cité un jour à la louange de l’Empereur Nicolas le gain d’un procès par un

  1. Voir la brochure de M. Tolstoï, citée dans le cours du voyage.