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Pierre Ier et Catherine II ont donné au monde une grande et utile leçon que la Russie a payée ; ils nous ont montré que le despotisme n’est jamais si redoutable que lorsqu’il prétend faire du bien, car alors il croit excuser ses actes les plus révoltants par ses intentions : et le mal qui se donne pour remède n’a plus de bornes. Le crime à découvert ne triomphe qu’un jour ; mais les fausses vertus, voilà ce qui égare à jamais l’esprit des nations. Les peuples éblouis par les brillants accessoires du crime, par la grandeur de certains forfaits que l’événement a justifiés, croient à la fin qu’il y a deux scélératesses, deux morales, et que la nécessité, la raison d’État, comme on disait jadis, disculpe les criminels de haut parage, pourvu qu’ils aient su mettre leurs excès d’accord avec les passions du pays.

La tyrannie avouée m’effrayerait peu auprès d’une oppression déguisée en amour de l’ordre. La force du despotisme est uniquement dans le masque du despote. Que le souverain soit contraint de ne plus mentir, le peuple est libre ; aussi n’ai-je reconnu en ce monde d’autre mal que le mensonge. Si vous ne craignez que l’arbitraire violent et avoué, allez en Russie, vous apprendrez à redouter surtout la tyrannie hypocrite[1]

  1. « Et sui d’opinion que n’erroyent les Perses estimans le second vice estre menstir, le premier estre debvoir, car debtes et men-