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de servile puisqu’elle est l’expression des sentiments les plus élevés et les plus délicats. Or, ce n’est que lorsque la politesse devient en quelque sorte une monnaie courante chez un peuple entier qu’on peut dire que ce peuple est civilisé ; alors la rudesse originelle, la personnalité brutale de la nature humaine se trouvent effacées dès le berceau par les leçons que chaque individu reçoit dans sa famille ; quelque part qu’il naisse, l’homme enfant n’est point pitoyable, et si, dès le début de la vie, il n’est détourné de ses penchants cruels, jamais il ne sera réellement poli. La politesse n’est que le code de la pitié appliqué aux relations journalières de la société ; ce code enseigne surtout la pitié pour les souffrances de l’amour-propre : c’est aussi le remède le plus universel, le plus applicable, le plus pratique qu’on ait trouvé jusqu’ici contre l’égoïsme.

On dira ce qu’on voudra, tous ces raffinements, résultat naturel de l’œuvre du temps, sont inconnus aux Russes actuels, qui se souviennent bien plus de Saraï que de Byzance, et qui, à peu d’exceptions près, ne sont encore que des Barbares bien habillés. Ils me paraissent des portraits mal peints, mais très bien vernis. Pour que votre politesse fût vraie, il faudrait avoir été longtemps humains avant d’être polis.

C’est Pierre le Grand qui, avec toute l’imprudence d’un génie inculte, toute la témérité d’un homme