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l’enfance à la virilité. À peine échappée au joug étranger, tout ce qui n’était pas la domination mongole lui semblait la liberté ; c’est ainsi que, dans la joie de son inexpérience, elle accepta comme une délivrance le servage lui-même, parce qu’il lui était imposé par ses souverains légitimes. Ce peuple, avili sous la conquête, se trouvait assez heureux, assez indépendant pourvu que son tyran s’appelât d’un nom russe au lieu d’un nom tatar.

L’effet d’une telle illusion dure encore ; l’originalité de l’esprit a fui de ce sol dont les enfants, rompus à l’esclavage, n’ont pris au sérieux, jusqu’à ce jour, que la terreur et l’ambition. Qu’est-ce que la mode pour eux, si ce n’est une chaîne élégante et qu’on ne porte qu’en public ?… La politesse russe, quelque bien jouée qu’elle nous paraisse, est plus cérémonieuse que naturelle, tant il est vrai que l’urbanité est une fleur qui ne s’épanouit qu’au sommet de l’arbre social ; cette plante ne se greffe pas, elle s’enracine, et la tige qui doit la supporter, comme celle de l’aloès, met des siècles à pousser ; il faut que bien des générations à demi barbares soient mortes dans un pays avant que les couches supérieures de la terre sociale y fassent naître des hommes réellement polis : plusieurs âges de souvenirs sont nécessaires à l’éducation d’un peuple civilisé ; l’esprit d’un enfant né de parents polis, peut seul mûrir assez vite pour