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mité engendré par l’abus de l’unité. Un seul homme dans tout l’Empire a le droit de vouloir ; il résulte de là que lui seul a la vie propre. L’absence d’âme se trahit dans toutes choses : à chaque pas que vous faites, vous sentez que vous êtes chez un peuple privé d’indépendance De vingt en trente lieues sur toutes les routes, une seule ville vous attend ; c’est toujours la même. La tyrannie n’invente que les moyens de s’affermir ; elle se soucie peu du bon goût dans les arts.

La passion des princes russes et des hommes du métier en Russie pour l’architecture païenne, pour la ligne droite, pour des bâtisses peu élevées et pour les rues espacées, est en contradiction avec les lois de la nature et avec les besoins de la vie dans un pays froid, brumeux et sans cesse exposé à de grands coups de vent qui vous glacent le visage. Pendant tout le temps de mon voyage, je me suis efforcé vainement de concevoir comment cette manie a pu s’emparer des habitants d’une contrée si différente des pays où naquit l’architecture transplantée en Russie : les Russes ne le conçoivent probablement pas plus que moi, car ils ne sont pas plus maîtres de leurs goûts que de leurs actions. On leur a imposé ce qu’on appelle les beaux-arts comme on leur commande l’exercice. Le régiment et son minutieux esprit, tel est le moule de cette société.