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premier jour de sa vie, ce qu’il verra, ce qu’il fera jusqu’au dernier. Une si rude tyrannie s’appelle, en langage officiel, respect pour l’unité, amour de l’ordre ; et ce fruit acerbe du despotisme paraît si précieux aux esprits méthodiques, qu’on ne saurait, disent-ils, l’acheter trop cher.

En France, je me croyais d’accord avec ces esprits rigoureux ; depuis que j’ai vécu sous la discipline terrible qui soumet la population de tout un empire à la règle militaire, je vous l’avoue, j’aime encore mieux un peu de désordre qui annonce la force, qu’un ordre parfait qui coûte la vie.

En Russie, le gouvernement domine tout et ne vivifie rien. Dans cet immense Empire, le peuple, s’il n’est tranquille, est muet ; la mort y plane sur toutes les têtes et les frappe capricieusement ; c’est à faire douter de la suprême justice ; là l’homme a deux cercueils : le berceau et la tombe. Les mères y doivent pleurer la naissance plus que la mort de leurs enfants.

Je ne crois pas que le suicide y soit commun ; on y souffre trop pour se tuer. Singulière disposition de l’homme !!! quand la terreur préside à sa vie, il ne cherche pas la mort ; il sait déjà ce que c’est[1].

D’ailleurs le nombre des hommes qui se tuent se-

  1. Dickens l’a dit : « Le suicide est rare parmi les prisonniers, même il est presque inconnu ; mais nul argument en faveur du sys-