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plein jour et les escarmouches des éclaireurs me paraissaient un jeu — pour parler sans figures, la morsure des punaises et la peur des poux m’avaient tellement aguerri contre les puces, que je ne m’inquiétais pas plus des légères nuées de ces bêtes soulevées sous nos pas dans les églises et autour des trésors du couvent, que de la poudre du chemin ou de la cendre de l’âtre. Mon indifférence était telle qu’elle me faisait honte à moi-même : il y a des maux auxquels on rougit de se résigner ; c’est presque avouer qu’on les mérite… Cette matinée et la nuit qui l’a précédée ont réveillé toute ma pitié pour les pauvres Français restés prisonniers en Russie, après l’incendie et la retraite de Moscou. La vermine, cet inévitable produit de la misère, est de tous les maux physiques celui qui m’inspire la plus profonde compassion. Quand j’entends dire d’un homme : il est si malheureux qu’il en est sale, mon cœur se fend. La malpropreté est quelque chose de plus que ce qu’elle paraît ; elle décèle aux yeux d’un observateur attentif une dégradation morale pire que les maux du corps ; cette lèpre, pour être jusqu’à un certain point volontaire, n’en devient que plus immonde ; c’est un phénomène qui procède de nos deux natures : il y a en elle du moral et du physique, elle est le résultat des infirmités combinées de l’âme et du corps ; c’est tout ensemble un vice et une maladie.