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plus effrayante que ne le fut la réalité. Cette solennité inutile, cette guerre de fantaisie achèvera de tuer les soldats que l’événement et les années avaient épargnés, plaisirs cruels et dignes d’un des successeurs de ce Czar qui fit introduire des ours vivants dans la mascarade ordonnée par lui pour les noces de son bouffon : ce Czar était Pierre le Grand. Tous ces divertissements prennent leur source dans la même pensée : le mépris de la vie humaine.

Voilà jusqu’où peut aller la puissance d’un homme sur les hommes ; croyez-vous que celle des lois sur un citoyen puisse jamais l’égaler ? il y aura toujours entre les deux espèces de pouvoirs une énorme distance.

Je suis émerveillé de ce qu’il faut dépenser de fiction pour faire aller ensemble un peuple et un gouvernement tels que le gouvernement et le peuple russes. C’est le triomphe de la fantaisie. De semblables tours de force, des victoires si singulières remportées sur la raison devraient hâter la ruine des nations qui s’exposent à de semblables luttes : cependant qui peut calculer la portée d’un miracle ?

L’Empereur m’avait permis, ce qui veut dire ordonné, de venir à Borodino. C’est une faveur dont je me sens devenu indigne ; je n’avais pas réfléchi d’abord à l’extrême difficulté du rôle d’un Français dans cette comédie historique ; et puis, je n’avais pas vu