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de leurs souvenirs, à la tristesse de leur repos et forcés d’accourir du bout de la Sibérie, du Kamtschatka, du Caucase, d’Archangel, des frontières de la Laponie, des vallées du Caucase, des côtes de la mer Caspienne, sur un théâtre qu’on leur dit être le théâtre de leur gloire ? Ils vont recommencer là la terrible comédie d’un combat auquel ils ont dû, non leur fortune, mais leur renommée, mesquine rétribution d’un dévouement surhumain : une obscurité fatiguée, voilà le fruit qu’ils ont recueilli de leur obéissance qu’on qualifie de gloire pour la récompenser aux moindres frais possibles. Pourquoi remuer ces questions et ces souvenirs ? pourquoi cette téméraire évocation de tant de spectres oubliés et muets ? c’est le jugement dernier des conscrits de l’an 1812. On voudrait faire une satire de la vie militaire qu’on ne s’y prendrait pas autrement ; c’est ainsi qu’Holbein dans sa danse des morts a fait la caricature de la vie humaine. Plusieurs de ces hommes, réveillés en sursaut au bord de leur tombe, n’avaient pas monté à cheval depuis nombre d’années, et les voilà forcés, pour plaire à un maître qu’ils n’ont jamais vu, de rejouer leur rôle, bien qu’ils aient désappris leur métier ; les malheureux ont tant de peur de ne pas répondre à l’attente du capricieux souverain qui trouble leur vieillesse, que la représentation de la bataille leur paraît, disent-ils,