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postillon-cocher les maîtrisèrent au point de les obliger à devancer le fantastique objet de leur terreur : ils se soumirent en frissonnant, leurs crins se hérissaient ; mais à peine ont-ils subi cette lutte de deux effrois contraires et fait l’effort d’affronter le monstre, en passant d’un train modéré le long de ses flancs superbes, que se reprochant, pour ainsi dire, leur courage qui n’était que de la peur comprimée, ils laissent cette terreur faire explosion : la voix et les rênes de leur conducteur demeurent sans force. L’homme est vaincu au moment qu’il se croit vainqueur ; à peine les chevaux ont-ils senti le monstre derrière eux, qu’ils prennent le mors aux dents, et partent au triple galop sans savoir où se dirigera leur aveugle emportement. Cette furie de la frayeur allait nous coûter la vie ; le cocher, surpris et impuissant, restait immobile sur son siége et lâchait les rênes ; le feldjæger, assis sur le même siége, partageait sa stupeur et imitait son inaction. Antonio et moi, immobiles dans le fond de la calèche fermée à cause de l’incertitude du temps et de mon indisposition, nous étions pâles et muets : notre espèce de tarandasse n’a pas de portières, c’est un bateau, il faut enjamber par-dessus le bord pour entrer et pour sortir, ce qui devient assez difficile quand la capote relevée est appuyée sur le siége de devant : tout à coup les chevaux, dans leur vertige, quittent la route et commen-