Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sonne même à qui l’accident est arrivé. Si elle se fût cassé la jambe ou évanouie, elle aurait pu mourir sans secours à la place où l’avait laissée sa pieuse amie.

Après cela on s’étonne de voir des hommes tomber dans la Néva, et s’y noyer sans que personne pense à leur porter secours, sans même qu’on ose parler de leur mort !!!

Les bizarreries de sentiment abondent en Russie dans tous les genres chez les personnes du grand monde, parce que les cœurs et les esprits y sont blasés sur toutes choses. Une grande dame de Pétersbourg a été mariée plusieurs fois ; elle passe les étés dans une maison de campagne magnifique à quelques lieues de la ville, et son jardin est rempli des tombeaux de tous ses maris, qu’elle commence à aimer avec passion sitôt qu’ils sont morts ; elle leur élève des mausolées, des chapelles, pleure sur leurs cendres, elle charge leurs tombes d’épitaphes sentimentales… en un mot, elle rend aux morts un culte offensant pour les vivants. C’est ainsi que le parc de la dame devient un vrai Père Lachaise ; et ce lieu paraît tant soit peu triste à quiconque n’a pas, comme la noble veuve, l’amour des maris défunts et des tombeaux.

On ne doit être surpris de rien en fait d’insensibilité, ou ce qui est synonyme, de sensiblerie de la