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sure de la force du gouvernement, et il juge plus à propos de cacher que de dévoiler ses ressources. Si un seigneur commet quelque acte répréhensible, il sera plusieurs fois averti en secret par le gouverneur de la province avant d’être admonesté officiellement ; si les avis et les réprimandes ne suffisent pas, le tribunal des nobles le menacera de le mettre en tu telle, et plus tard on exécutera la menace, si elle est restée sans bon résultat.

Tout ce luxe de précautions ne me paraît pas très-rassurant pour le serf, qui a le temps de mourir cent fois sous le knout de son maître avant que celui-ci, prudemment averti et dûment admonesté, soit obligé à rendre compte de ses injustices et de ses atrocités. Il est vrai que du jour au lendemain, seigneur, gouverneur, juges peuvent être culbutés et envoyés en Sibérie ; mais je vois là plutôt un motif de consolation pour l’imagination du pauvre peuple, qu’un moyen efficace et réel de protection contre les actes arbitraires des autorités subalternes, toujours disposées à faire abus du pouvoir qui leur est délégué.

Les gens du peuple ont fort rarement recours aux tribunaux dans leurs disputes particulières. Cet instinct éclairé me paraît un sûr indice du peu d’équité des juges. La rareté des procès peut avoir deux causes : l’esprit d’équité des sujets, l’esprit d’iniquité des juges. En Russie presque tous les procès sont