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Je n’ai vu en aucun pays autant de beaux fronts chauves ou de nobles cheveux blancs que dans cette partie de la Russie. Les têtes de Jéhova, ces chefs d’œuvre du premier élève de Léonard de Vinci, ne sont pas des conceptions aussi idéales que je le croyais lorsque j’admirais les fresques de Luini à Lainate, à Lugano, à Milan. Ces têtes se retrouvent ici vivantes au seuil de chaque cabane : de beaux vieillards au teint frais, aux joues pleines, aux yeux bleus et brillants, à la physionomie reposée, à la barbe d’argent qui luit au soleil autour d’une bouche dont elle rehausse le sourire serein et bienveillant, semblent autant de dieux protecteurs placés à l’entrée des villages. Le voyageur, à son passage, est salué par ces nobles figures majestueusement assises sur la terre qui les a vus naître ; vraies statues antiques, emblèmes de l’hospitalité, un païen les adorerait ; les chrétiens les admirent avec un respect involontaire, car, dans la vieillesse, la beauté n’est plus physique, c’est le chant triomphal de l’âme après la victoire.

Il faut venir chez les paysans russes retrouver la pure image de la société patriarcale et pour remercier Dieu de l’heureuse existence qu’il a départie, malgré les fautes des gouvernements, à ces créatures inoffensives dont la naissance et la mort ne sont séparées que par une longue suite d’années d’innocence.