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celui des petits théâtres, des auberges et des cafés !… Mais au milieu de tant de clarté, on n’entend que des bruits sourds ; le contraste de l’illumination des lieux et de la taciturnité des hommes tient de la magie ; on se croit chez un peuple touché de la baguette d’un enchanteur.

Les hommes de l’Asie, graves et taciturnes, restent sérieux jusque dans leurs divertissements ; les Russes sont des Asiatiques policés, si ce n’est civilisés.

Je ne me lasse pas d’écouter leurs chants populaires. La musique double de prix dans un lieu où cent peuples divers, réunis par un intérêt commun, sont divisés par leurs langues et leurs religions : la parole ne servirait qu’à séparer les hommes, ils chantent pour s’entendre. La musique est l’antidote des sophismes. De là la vogue toujours croissante de cet art en Europe. Il y a dans les chœurs exécutés par les mougiks du Volga une facture extraordinaire ; ce ne sont pas des mélodies suaves et inspirées ; mais, de loin, ces masses de voix qui se contrarient produisent des impressions profondes et neuves pour nous autres Occidentaux. La tristesse des sons n’est pas mitigée par la décoration de la scène. Une forêt profonde, formée par les mâts des vaisseaux ancrés le long des berges des deux fleuves, borne la vue des deux côtés, et voile en certains endroits une partie du ciel ; le reste du tableau n’est qu’une plaine soli-