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pauvres chevaux kirguises, destinés à venir en Europe porter des hommes esclaves comme eux, mais de qui la condition ne mérite pas toujours autant de pitié que celle des bêtes quand elles sont privées de la liberté.

Vers le soir, l’aspect de la plaine devient imposant. L’horizon se voile légèrement sous la brume, qui plus tard retombe en rosée ; et sous la poussière du sol de Nijni, espèce de petit sable brun, qui voile le ciel d’une teinte rougeâtre, ces accidents de lumière ajoutent à l’effet du site dont la grandeur est imposante. Du sein des ombres sortent des lueurs fantastiques, une multitude de lampes s’allument dans les bivouacs dont la foire est environnée ; tout parle, tout murmure ; la forêt lointaine prend une voix, et du milieu même des fleuves habités, les bruits de la vie viennent encore frapper l’oreille attentive. Quelle imposante réunion d’hommes ! Quelle confusion de langues, quels contrastes d’habitudes !… mais quelle uniformité de sentiments et d’idées !… Le but de ce rassemblement immense n’est pour chaque individu que de gagner un peu d’argent. Ailleurs, la gaieté des populations voile leur cupidité ; ici, le commerce est à nu, et la stérile rapacité du marchand domine la frivolité du promeneur : rien n’est poétique ; tout est lucratif. Je me trompe : la poésie de la crainte et de la douleur est au fond de