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Il y avait là six exilés, et ces condamnés bien qu’enchaînés étaient innocents à mes yeux, car sous le despotisme il n’y a de criminel que l’homme qui punit. Ces six coupables étaient conduits par douze hommes à cheval, douze Cosaques. La capote de ma voiture était fermée, et plus nous approchions du groupe, plus mon courrier observait attentivement ce qui se passait sur ma figure ; il me dévisageait. Je fus singulièrement frappé des efforts qu’il faisait pour me persuader que les gens devant lesquels nous passions étaient de simples malfaiteurs, et que pas un condamné politique ne se trouvait parmi eux. Je gardais un morne silence ; le soin qu’il prenait de répondre à ma pensée me parut très-significatif. Il la lit donc sur mon visage, me disais-je, ou la sienne lui fait deviner la mienne.

Affreuse sagacité des sujets du despotisme ! tous sont espions, même en amateurs et sans rétribution.

Les derniers relais de la route qui conduit à Nijni sont longs et difficiles, à cause des sables qui de viennent de plus en plus profonds[1], tellement qu’on y reste comme enterré ; et dans ces sables, d’énor-

    lointaines. C’est dommage que la mère patrie n’ait pas quelques uns de ces charmes que les Russes attribuent à leurs possessions d’Asie.

  1. On fait une chaussée de Moscou à Nijni : elle sera terminée bientôt.