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vous pouvez l’être, il s’enveloppera dans sa peau de mouton retournée et se couchera sur le seuil nouveau de votre porte, dont il défendra l’entrée avec la fidélité d’un chien ; ou bien il s’assiéra au pied d’un arbre devant la demeure qu’il vient de créer pour vous, et, tout en regardant le ciel, il vous désennuiera dans la solitude de votre gîte par des chants nationaux dont la mélancolie répond aux plus doux instincts de votre cœur, car le talent inné pour la musique est encore une des prérogatives de cette race privilégiée dans son malheur ; … et jamais l’idée ne lui viendra qu’il serait juste qu’il prît place à côté de vous dans la cabane qu’il vient de vous construire.

Ces hommes d’élite resteront-ils longtemps cachés dans les déserts où la Providence les tient en réserve… à quel dessein ? elle seule le sait !… Quand sonnera pour eux l’heure de la délivrance, et bien plus, du triomphe ? c’est le secret de Dieu.

J’admire la simplicité d’idées et de sentiments de ces hommes. Dieu, le roi du ciel : le Czar, le roi de la terre : voilà pour la théorie ; les ordres, les caprices même du maître, sanctionnés par l’obéissance de l’esclave : voilà pour la pratique. Le paysan russe croit se devoir corps et âme à son seigneur.

Conformément à cette dévotion sociale, il vit sans joie, mais non pas sans orgueil ; or, la fierté suffit à l’homme pour subsister ; c’est l’élément moral de l’in-