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amis du progrès, comme on dit aujourd’hui. En attendant cet heureux résultat, la complète séparation des classes fait de la vie sociale en Russie une chose violente et immorale ; on dirait que c’est dans ce pays que Rousseau est venu chercher la première idée de son système, car il n’est pas même nécessaire d’employer les ressources de sa magnifique éloquence pour prouver que les arts et les sciences ont fait plus de mal que de bien aux Russes. L’avenir apprendra au monde si la gloire militaire et politique doit dédommager ce peuple du bonheur dont le privent son organisation sociale et les emprunts qu’il ne cesse de faire aux étrangers.

L’élégance est innée chez les hommes de pure race slave. Ils ont dans le caractère un mélange de simplicité, de douceur et de sensibilité qui maîtrise les cœurs ; il s’y joint souvent beaucoup d’ironie et un peu de fausseté, mais dans les bons naturels ces défauts ont tourné en grâce : il n’en reste qu’une physionomie dont l’expression de finesse est incomparable ; on est dominé par un charme inconnu, c’est une mélancolie tendre et qui n’a rien d’amer, une douceur souffrante qui naît presque toujours d’un mal secret que l’homme se cache à soi-même pour le mieux déguiser aux yeux des autres. Bref, les Russes sont une nation résignée… cette simple parole dit tout. L’homme qui manque de liberté —