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afin de me secourir… pas un cri ne sera poussé pour moi sur ces bords populeux, mais qui paraissent déserts, tant les villes, le sol, le ciel et les habitants sont tristes et silencieux. Les Russes ont l’air si mélancolique, que je les crois indifférents à leur propre vie autant qu’à celle des autres.

C’est le sentiment de sa dignité, c’est la liberté qui attache l’homme à la patrie, à lui-même, à tout ; ici, l’existence est tellement accompagnée de gêne que chacun me paraît nourrir en secret le désir de changer de place sans le pouvoir. Les grands n’ont point de passe-ports, les paysans pas d’argent, et l’homme reste comme il est, patient par désespoir, c’est-à-dire aussi indifférent à sa vie qu’à sa mort. La résignation, qui partout ailleurs est une vertu, devient un vice en Russie parce qu’elle y perpétue la violente immobilité des choses.

Il n’est pas ici question de liberté politique, mais d’indépendance personnelle, de facilité de mouvement, et même de l’expression spontanée d’un sentiment naturel ; voilà pourtant ce qui n’est à la portée de personne en Russie, excepté du maître. Les esclaves ne se disputent qu’à voix basse ; la colère est un des priviléges du pouvoir. Plus je vois les gens conserver l’apparence du calme sous ce régime, plus je les plains ; la paix ou le knout !!.., telle est ici la condition de l’existence. Le knout des grands, c’est