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Vous êtes bien heureux que je me sois distrait du sujet de cette lettre, je l’avais commencée pour vous décrire le théâtre illuminé, la représentation en gala et pour vous analyser la traduction, pantomime (expression russe) d’un ballet français. Si je m’en étais souvenu vous auriez ressenti le contre-coup de mon ennui, car cette solennité dramatique m’a fatigué sans m’éblouir en dépit des habits dorés des spectateurs ; mais aussi la danse de l’Opéra de Pétersbourg sans mademoiselle Taglioni est roide et froide comme toutes les danses des théâtres européens quand elles ne sont pas exécutées par les premiers talents du monde, et la présence de la cour ne réchauffe personne, ni acteurs ni spectateurs. Vous savez que devant le souverain il n’est pas permis d’applaudir.

Les arts, disciplinés comme ils le sont à Pétersbourg, produisent des intermèdes de commande, bons pour amuser des soldats pendant les entr’actes des exercices militaires. C’est plus ou moins magnifique : c’est royal, Impérial… ; ce n’est pas amusant. Ici les artistes s’enrichissent ; ils ne s’inspirent pas : la richesse et l’élégance sont utiles aux talents ; mais ce qui leur est indispensable, c’est le bon goût et la liberté d’esprit du public qui les juge.

Les Russes ne sont pas encore arrivés au point de civilisation où l’on peut réellement jouir des arts. Jusqu’à présent leur enthousiasme en ce genre est