Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.

faud. À cette époque, la terreur avait fait de rapides progrès : être accusé, c’était être condamné ; on n’était plus jugé que pour la forme.

Ma mère encore libre, quoique sa conduite pendant le procès de son beau-père eût fixé sur elle l’attention publique, obtint la permission d’entrer tous les jours à la Force pour y voir son mari. Apprenant que la mort très-prochaine de mon père était résolue, elle mit tout en œuvre pour lui procurer les moyens de s’évader : belle comme elle l’était, et plus que belle, charmante, elle parvint à intéresser même la fille du concierge au sort du jeune prisonnier. Toutefois, ce ne fut qu’à force d’argent et de promesses qu’elle put la décider à exécuter un plan d’évasion qu’elle avait conçu en examinant attentivement les localités.

Mon père n’était pas d’une grande taille : il était délicat, il avait encore assez de jeunesse et une assez jolie figure pour qu’on pût l’habiller en femme sans attirer les regards. Chaque fois qu’elle sortait de la prison, ma mère, uniquement occupée de son projet, descendait jusque dans la rue accompagnée de la fille du concierge : les deux femmes passaient ensemble devant les factionnaires, les corps de garde et les municipaux de service ; ces gens, habitués à voir la fille du geôlier escorter ainsi tous les étrangers qui pénétraient dans la prison, s’en rapportaient à cette jeune personne du soin de fermer les portes de l’escalier, après