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de sympathie que ces enragées donnèrent à la belle fille de Custine irritèrent tellement Fouquier-Tinville que, séance tenante, des ordres menaçants furent envoyés secrètement par l’accusateur public aux assassins du perron.

L’accusé venait d’être reconduit dans sa prison ; sa belle-fille, au sortir du tribunal, s’apprêtait à descendre les marches du palais pour regagner seule et à pied le fiacre qui l’attendait dans une rue écartée. Nul n’osait l’accompagner, du moins ostensiblement, de peur d’aggraver le péril. Timide et sauvage comme une biche, elle avait eu toute sa vie, par in-

    velles de ses amis et de sa famille ; et lorsqu’il paraît devant ses juges, elle le fixe avec des yeux baignés de larmes ; elle s’assied au pied du redoutable escabelle (sic) : lorsque l’interrogatoire est suspendu, elle s’empresse de donner à son père les secours que son état exige. Aussitôt que Custine s’est arraché à ses embrassements pour rentrer dans sa prison, cette femme intéressante par sa sensibilité et par sa piété filiale va porter la consolation au sein de son époux détenu à la Force. Avant-hier elle sortit du palais au milieu de la foule, le sourire était sur ses lèvres ; on crut qu’elle riait. Quelques femmes, peu touchées de sa situation, se mirent à crier : « Elle rit, mais elle ne rira pas longtemps : c’est la fille de Custine ; son père jouera bientôt à la main chaude. » Chez un peuple républicain comment se trouve-t-il encore des âmes qui insultent à l’infortune ! On a vu avec plaisir que cet outrage fait à l’humanité était désapprouvé par le peuple ; on répétait : « Pourquoi faut-il que ce soit là l’épouse et la fille de deux hommes accusés de trahir leur patrie ! »