Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/424

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il faut convenir pourtant que ce peuple restait là presque volontairement ; rien ne me semblait le forcer à venir sous les fenêtres de l’Empereur pour sembler s’amuser ; il s’amusait donc, mais du seul plaisir de ses maîtres ; il s’amusait moult tristement, comme dit Froissard. Toutefois, les coiffures des femmes du peuple, les belles robes de drap et les éclatantes ceintures de laine ou de soie des hommes vêtus à la russe, c’est-à-dire à la persane, la diversité des couleurs, l’immobilité des personnes me faisaient l’illusion d’un immense tapis de Turquie jeté d’un bout de la cour à l’autre par ordre du magicien qui préside ici à tous les miracles. Un parterre de têtes, tel était le plus bel ornement du palais de l’Empereur pendant la première nuit des noces de sa fille ; ce prince pensait là dessus comme moi, car il fit remarquer complaisamment aux étrangers cette foule sans acclamations, qui témoignait par sa présence seule de la part qu’elle prenait au bonheur de ses maîtres. C’était l’ombre d’un peuple à genoux devant des dieux invisibles. Leurs Majestés sont les divinités de cet Élysée dont les habitants, pliés à la résignation, se forgent une félicité admirative toute composée de privations et de sacrifices.

Je m’aperçois que je parle ici comme les radicaux parlent à Paris ; démocrate en Russie, je n’en suis pas moins, en France, un aristocrate obstiné ; c’est