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que et différent de tous les autres hommes : l’insensibilité n’est pas chez lui un vice de nature, c’est le résultat inévitable d’une position qu’il n’a pas choisie et qu’il ne peut quitter.

Abdiquer un pouvoir disputé, c’est quelquefois une vengeance ; abdiquer un pouvoir absolu, ce serait une lâcheté.

Quoi qu’il en soit, la singulière destinée d’un Empereur de Russie m’inspire un vif intérêt de curiosité d’abord, de charité ensuite ; comment ne pas compatir aux peines de ce glorieux exil !

J’ignore si l’Empereur Nicolas avait reçu de Dieu un cœur susceptible d’amitié ; mais je sens que l’espoir de témoigner un attachement désintéressé à un homme auquel la société refuse des semblables, pourrait tenir lieu d’ambition. Le souverain absolu est de tous les hommes celui qui moralement souffre le plus de l’inégalité des conditions, et ses peines sont d’autant plus grandes que, enviées du vulgaire, elles doivent paraître irrémédiables à celui qui les subit.

Le danger même donnerait à mon zèle l’attrait de l’enthousiasme. Quoi ! dira-t-on, de l’attachement pour un homme qui n’a plus rien d’humain, dont la physionomie sévère inspire un respect toujours mêlé de crainte, dont le regard ferme et fixe, en excluant la familiarité, commande l’obéissance, et dont la bouche, quand elle sourit, ne s’accorde jamais avec