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pis, que l’éperon, en se détachant, avait emporté avec lui le talon de la botte dans lequel il était fixé ! J’étais donc à moitié déchaussé d’un pied. Près de paraître pour la première fois devant un homme qu’on dit aussi minutieux qu’il est puissant, cet accident me parut un vrai malheur. Les Russes sont moqueurs, et l’idée de leur prêter à rire dès mon début m’était singulièrement désagréable. Que faire ? retourner sous le péristyle pour y chercher le débris de ma chaussure : à quoi bon ? des voitures avaient déjà passé sur ce fragment de botte. Retrouver le talon perdu, ce serait un miracle impossible à espérer ; d’ailleurs qu’en ferais-je ? le porterais-je à la main pour entrer dans le palais ? Que résoudre ? Fallait-il quitter l’ambassadeur de France et m’en retourner chez moi ? mais dans un pareil moment c’eût été déjà faire scène ; d’un autre côté, me montrer dans l’état où j’étais, c’était me perdre dans l’esprit du maître et de ses courtisans, et je n’ai nulle philosophie contre un ridicule auquel je suis venu m’exposer volontairement. En ce genre, c’est bien assez de supporter l’inévitable… Les désagréments qu’on s’attire à plaisir à mille lieues de chez soi me paraissent humiliants. Il est si facile de ne pas aller, que lorsqu’on va gauchement, on est impardonnable.

J’aspirais en rougissant à me cacher dans la foule ; mais, je vous le répète, il n’y a jamais foule en Rus-