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clergé, toutes les classes de la société se sont manqué à elles-mêmes. Un peuple opprimé a toujours mérité sa peine ; la tyrannie est l’œuvre des nations. Ou le monde civilisé passera de nouveau avant cinquante ans sous le joug des Barbares, ou la Russie subira une révolution plus terrible que ne le fut la révolution dont l’Occident de l’Europe ressent encore les effets.

Je remarque qu’on me craint ici parce qu’on sait que j’écris avec conviction ; nul étranger ne peut mettre le pied dans ce pays sans se sentir aussitôt pesé et jugé. « C’est un homme sincère, pense-t-on, donc il peut être dangereux. » Voyez la différence : sous le gouvernement des avocats, un homme sincère n’est qu’inutile ! « La haine du despotisme règne vaguement en France, disent-ils ; elle est exagérée et n’est point éclairée, aussi nous la bravons ; mais le jour où un voyageur, croyable parce qu’il croit, dira les abus réels qui ne peuvent manquer de lui sauter aux yeux chez nous, on nous verra tels que nous sommes. Aujourd’hui la France aboie contre nous sans nous connaître ; elle nous mordra le jour où elle nous connaîtra. »

Les Russes me font trop d’honneur sans doute par cette inquiétude ; mais, malgré la dissimulation de ces cœurs profonds, ils ne peuvent me cacher leur préoccupation à mon égard. Je ne sais si je dirai ce