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ger même pour un étranger obligé de vivre en Russie. Je brave ce péril à chaque instant de la journée, car de tous les jougs, le plus insupportable pour moi, c’est celui d’une admiration convenue[1].

En Russie le pouvoir, tout illimité qu’il est, a une peur extrême du blâme, ou seulement de la franchise. Un oppresseur est de tous les hommes celui qui craint le plus la vérité ; il n’échappe au ridicule que par la terreur et le mystère ; de là il arrive qu’on ne peut parler ici ni des personnes, ni des faits, ni de rien ; pas plus des maladies dont sont morts les Empereurs Pierre III et Paul Ier que des clandestines

  1. On lit dans M. de Ségur les faits suivants : « Pierre, lui-même, a interrogé ces criminels (les Strelitz) par la torture ; puis, à l’imitation d’Iwan le Tyran, il se fait leur juge, leur bourreau, il force ses nobles, restés fidèles, à trancher les têtes des nobles coupables, qu’ils viennent de condamner. Le cruel, du haut de son trône, assiste d’un œil sec à ces exécutions ; il fait plus, il mêle aux joies des festins l’horreur des supplices. Ivre de vin et de sang, le verre d’une main, la hache de l’autre, en une seule heure vingt libations successives marquent la chute de vingt têtes de Strelitz, qu’il abat à ses pieds, en s’enorgueillissant de son horrible adresse. L’année d’après, le contre-coup, soit du soulèvement de ses janissaires, soit de l’atrocité de leur supplice, retentit au loin dans l’Empire, d’autres révoltes éclatent. Quatre-vingts Strelitz, chargés de chaînes, sont traînés d’Azof à Moscou ; et leurs têtes, qu’un boyard tient successivement par les cheveux, tombent encore sous la hache du Czar. » (Histoire de Russie et de Pierre le Grand, par M. le général comte de Ségur, pages 327 et 328. Paris, Baudouin, 1829, 2e édit.)