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pour y voir passer le paquebot de l’Impératrice, spectacle sur lequel on ne se blase jamais. Ici tout souverain est un dieu ; toute princesse est une Armide, une Cléopâtre. Le cortége de ces divinités changeantes est immuable ; il se grossit d’un peuple toujours également fidèle, accouru sur leurs pas, à cheval, à pied, en voiture ; le prince régnant est toujours à la mode et tout-puissant chez ce peuple.

Cependant ces hommes si soumis ont beau faire et beau dire, leur enthousiasme est contraint : c’est l’amour du troupeau pour le berger qui le nourrit pour le tuer. Un peuple sans liberté a des instincts, il n’a pas de sentiments ; ces instincts se manifestent souvent d’une manière importune et peu délicate : les Empereurs de Russie doivent être excédés de soumission ; parfois l’encens fatigue l’idole. À la vérité ce culte admet des entr’actes terribles. Le gouvernement russe est une monarchie absolue, tempérée par l’assassinat ; or, quand le prince tremble, il ne s’ennuie plus ; il vit donc entre la terreur et le dégoût Si l’orgueil du despote veut des esclaves, l’homme cherche des semblables : mais un Czar n’a point de semblables ; l’étiquette et la jalousie font à l’envi la garde autour de son cœur solitaire. Il est à plaindre plus encore que ne l’est son peuple, surtout s’il vaut quelque chose.

J’entends vanter les joies domestiques que goûte