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le voyageur digne de son métier qui ne médite pas ?) on prévoit telle guerre, tel revirement de la politique qui ferait disparaître cette création de Pierre Ier, comme une bulle de savon sous un souffle.

Nulle part je ne fus plus pénétré de l’instabilité des choses humaines ; souvent à Paris, à Londres, je me disais : un temps viendra où ce bruyant séjour sera plus silencieux qu’Athènes, que Rome, Syracuse ou Carthage : mais il n’est donné à nul homme de pressentir l’heure ni la cause immédiate de cette destruction, tandis que la disparition de Pétersbourg peut se prévoir ; elle peut arriver demain au milieu des chants de triomphe de son peuple victorieux. Le déclin des autres capitales suit l’extermination de leurs habitants, celle-ci périra au moment même où les Russes verront leur puissance s’étendre. Je crois à la durée de Pétersbourg comme à celle d’un système politique, comme à la constance d’un homme. C’est ce qu’on ne peut dire d’aucune autre ville du monde.

Quelle terrible force que celle qui fit sortir du désert une capitale, et qui d’un mot peut rendre à la solitude tout ce qu’elle lui a pris ! Ici la vie propre n’appartient qu’au souverain : la destinée, la force, la volonté d’un peuple entier sont renfermées dans une tête. L’Empereur de Russie est la personnification du pouvoir social : au-dessous de lui règne en