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Ce n’est pas tout, par une ironie sanglante, devant la principale porte de ce sinistre édifice, on avait placé, avant la mort de celui qui l’occupait et d’après son ordre, la statue équestre de son père Pierre III, autre victime dont l’Empereur Paul se plaisait à honorer la déplorable mémoire pour déshonorer la mémoire triomphante de sa mère[1]. Que de tragédies se sont jouées à froid dans ce pays où l’ambition, la haine même, sont calmes en apparence !  ! Chez les peuples du Midi la passion me réconcilie en quelque sorte avec leur cruauté ; mais la réserve calculée, la froideur des hommes du Nord ajoute un vernis d’hypocrisie au crime : la neige est un masque ; ici l’homme paraît doux parce qu’il est impassible ; mais le meurtre sans haine me cause plus d’horreur que l’assassinat vindicatif. La religion de la vengeance n’est-elle pas plus naturelle que la trahison par intérêt ? Plus je reconnais une impulsion involontaire dans le mal, plus je me sens consolé. Malheureusement c’est le calcul et non la colère, c’est la prudence qui ont présidé au meurtre de Paul. Les bons Russes prétendent que les conjurés ne s’étaient préparés qu’à le mettre en prison. J’ai vu la porte secrète qui conduisait à l’appartement de l’Empereur par un escalier dérobé ; cette porte donne dans une partie de jardin, près d’un

  1. Depuis que ceci a été publié, des Russes m’ont assuré que cette statue représente Pierre Ier.