Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tendez parler ; mais, au fond, il ne pense pas un mot de ce qu’il vous dit. »

Voilà ce qu’on me répète tout bas dix fois le jour. Ma pensée est comme un trésor où chacun se croit le droit de puiser à son profit ; aussi, je sens mes pauvres idées se brouiller, et à la fin de la journée je doute moi-même de mon opinion : c’est ce qui plaît aux Russes ; quand nous ne savons plus que dire ni que penser d’eux et de leur pays, ils triomphent.

Il me semble qu’ils se résigneraient à être effectivement plus mauvais et plus barbares qu’ils ne sont, pourvu qu’on les crût meilleurs et plus civilisés. Je n’aime pas les esprits disposés à faire si bon marché de la vérité, la civilisation n’est point une mode, une ruse, c’est une force qui a son résultat, une racine qui pousse sa tige, produit sa fleur et porte son fruit.

« Du moins vous ne nous appellerez pas les barbares du Nord, comme font vos compatriotes….. » Voilà ce qu’on me dit chaque fois qu’on me voit amusé ou touché de quelque récit intéressant, de quelque mélodie nationale, de quelque beau trait de patriotisme, de quelque sentiment noble et poétique attribué à un Russe.

Moi je réponds à toutes ces craintes par des compliments insignifiants ; mais je pense tout bas que