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veut pas se laisser dire, en termes explicites, qu’on la dédaigne et qu’on la bafoue. Outragée par les actions, elle se sauve dans les paroles. Le mensonge est si avilissant que, forcer le tyran à l’hypocrisie, c’est une vengeance qui console la victime. Misérable et dernière illusion du malheur, qu’il faut pourtant respecter, de peur de rendre le serf encore plus vil et le despote encore plus fou !…

« Il existait une ancienne coutume d’après laquelle, dans les processions solennelles, le patriarche de Moscou faisait marcher à ses côtés les deux plus grands seigneurs de l’Empire. Au moment du mariage, le czar-pontife résolut de choisir pour acolytes, dans le cortége de cérémonie, d’un côté un boyard fameux, et de l’autre le nouveau beau-frère qu’il venait de se créer ; car en Russie la puissance souveraine fait plus que des grands seigneurs, elle suscite des parents à qui n’en avait point ; elle traite les familles comme des arbres qu’un jardinier peut élaguer, arracher, ou sur lesquels il peut greffer tout ce qu’il veut. Chez nous, le despotisme est plus fort que nature, l’Empereur est non-seulement le représentant de Dieu, il est la puissance créatrice elle-même : puissance plus étendue que celle de notre Dieu ; car celui-ci ne fait que l’avenir, tandis que l’Empereur refait le passé ! La loi n’a point d’effet rétroactif : le caprice du despote en a un.