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server des lecteurs, pousseront au bouleversement, ne fût-ce qu’afin d’avoir quelque chose à raconter pendant un mois de plus ; ils tueront la société pour vivre de son cadavre.

Les ténèbres renaissent de la multiplicité des lumières, l’éblouissement est une cécité momentanée.

L’Allemagne, avec ses gouvernements éclairés, avec ses peuples bons et sages, pouvait refonder en Europe une aristocratie tutélaire, mais ces gouvernements se sont séparés de leurs sujets : le roi de Prusse, devenu la sentinelle avancée de la Russie[1], a fait de ses soldats des révolutionnaires muets et patients, au lieu d’avoir mis à profit leur bon esprit pour en faire les défenseurs naturels de la vieille Europe, du seul coin de la terre où, jusqu’à ce jour, la liberté raisonnable ait trouvé un asile. En Allemagne on pourrait encore conjurer l’orage ; en France, en Angleterre, en Espagne, nous ne pouvons déjà plus qu’attendre la foudre.

Un retour à l’unité religieuse sauverait l’Europe ; mais cette unité, qui la fera reconnaître, qui la fera respecter, par quels nouveaux miracles s’imposera-t-elle au monde insouciant qui la méconnaît ? sur quelle autorité s’appuiera-t-elle ? c’est le secret de Dieu. L’esprit de l’homme pose les problèmes ; l’action divine, c’est-à-dire le temps, les résout.

  1. Écrit le 10 juin 1839.