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ont enfanté notre démocratie actuelle, avec tous ses abus.

Si l’esprit militaire qui règne en Russie n’a rien produit de semblable à notre religion de l’honneur, ce n’est pas à dire que la nation ait moins de force parce que ses soldats sont moins brillants que les nôtres ; l’honneur est une divinité humaine ; mais dans la vie pratique le devoir vaut l’honneur et plus que l’honneur ; c’est moins éclatant, c’est plus soutenu, plus fort. Il ne sortira point de là des héros du Tasse ou de l’Arioste ; mais des personnages dignes d’inspirer un autre Homère, un autre Dante, peuvent renaître des ruines d’une seconde Ilion attaquée par un autre Achille, par un homme qui, comme guerrier, valait à lui seul tous les héros de l’Iliade.

Mon opinion est que l’empire du monde est dévolu désormais non pas aux peuples turbulents, mais aux peuples patients[1] : l’Europe éclairée comme elle l’est ne peut plus être soumise qu’à la force réelle : or, la force réelle des nations, c’est l’obéissance au pouvoir qui les commande, comme celle des armées est la discipline. Dorénavant, le mensonge nuira surtout à

  1. La bonne foi dont je fais profession ne m’a pas permis de rien retrancher à cette lettre : seulement je prie de nouveau le lecteur qui voudra bien me suivre jusqu’au bout d’attendre, pour se former une opinion sur la Russie, qu’il ait pu comparer entre eux mes divers jugements avant et après le voyage.