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sions jamais rencontrés. Interpellé si brusquement, je me lève avec surprise, mais sans répondre : le prince continue de ce ton de grand seigneur, dont la simplicité parfaite exclut toute cérémonie à force de vraie politesse.

Vous qui avez vu à peu près l’Europe entière, me dit-il, vous serez de mon avis, j’en suis sûr.

— Sur quoi, prince ?

— Sur l’Angleterre. Je disais au prince que voici (en m’indiquant du doigt, sans autre présentation, l’homme avec lequel il causait), qu’il n’y a pas de noblesse chez les Anglais. Ils ont des titres et des charges ; mais l’idée que nous attachons à la vraie noblesse, à celle qui ne peut ni se donner, ni s’acheter, leur est étrangère. Un souverain peut faire des princes ; l’éducation, les circonstances, le génie, la vertu, peuvent faire des héros ; rien de tout cela ne saurait produire un gentilhomme.

— Prince, répliquai-je, la noblesse, comme on l’entendait autrefois en France, et comme nous l’entendons vous et moi ce me semble aujourd’hui, est devenue une fiction et l’a toujours été peut-être. Vous me rappelez le mot de M. Lauraguais, qui disait, en revenant d’une assemblée de maréchaux de France : « Nous étions douze ducs et pairs, mais il n’y avait que moi de gentilhomme. »

— Il disait vrai, reprit le prince. Sur le continent,