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LETTRE QUATRIÈME.


Travemünde, ce 4 juillet 1839

Ce matin, à Lubeck, le maître de l’auberge apprenant que j’allais m’embarquer pour la Russie, est entré dans ma chambre d’un air de compassion qui m’a fait rire : cet homme est plus fin, il a l’esprit plus vif, plus railleur que le ton pleureur de sa voix et sa manière de prononcer le français ne le feraient supposer au premier abord.

En apprenant que je ne voyageais que pour mon plaisir, il s’est mis à me prêcher avec la bonhomie allemande pour me faire renoncer à mon projet.

« — Vous connaissez la Russie ? lui dis-je.

— Non, monsieur, mais je connais les Russes ; il en passe beaucoup par Lubeck, et je juge du pays d’après la physionomie de ses habitants.

— Que trouvez-vous donc à l’expression de leur visage qui doive m’empêcher de les aller voir chez eux ?

— Monsieur, ils ont deux physionomies ; je ne parle pas des valets, qui n’en ont pas une seule, je parle des seigneurs : quand ceux-ci débarquent pour venir en Europe, ils ont l’air gai, libre, content ; ce sont des chevaux échappés, des oiseaux auxquels on