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sait jamais une parole sans y mêler quelque jurement terrible, Jérôme, tout féroce qu’il était, était jeune ; frappé d’admiration en voyant ce qui la distinguait des autres femmes, il n’eut plus qu’une pensée, ce fut de la préserver de la guillotine à son insu. Il le pouvait, il le fit : voici comment.

Il avait un libre accès dans les bureaux de Fouquier-Tinville, l’accusateur public. Là s’entassaient les papiers où se trouvait le nom de chaque détenu écroué dans les prisons de Paris. Ces feuilles passaient toutes dans le carton où elles étaient empilées une à une par Fouquier-Tinville, qui les employait à mesure et sans choix pour fournir aux exécutions de la journée, c’est-à-dire à trente, à quarante et jusqu’à soixante et quatre-vingts assassinats publics. Ces meurtres étaient alors le principal divertissement du peuple de Paris. Le nombre des feuilles se recrutait journellemenl des différents envois qui se faisaient de toutes les prisons de la ville. Jérôme savait où était le carton fatal, et pendant six mois, il n’a pas manqué une seule fois de se rendre le soir dans le bureau, à l’instant où il était sûr de n’être pas observé, pour s’assurer que la feuille sur laquelle était inscrit le nom de ma mère se trouvait toujours au fond du carton. Lorsque de nouveaux papiers avaient été placés dans le même carton, et que l’accusateur public, par justice distributive, les avait mis sous les